Cette scène de la vie de tous les jours qui m’a été relatée, illustre parfaitement ce qui peut être identifié comme un « irritant » :
C’est dimanche matin, j’arrive au supermarché vingt minutes avant la fermeture.
Pour une fois, toutes les caisses sont ouvertes.
Je fais mes quelques emplettes. Je cherche la queue la moins effrayante. Je suis le seul à ne pas être aux commandes d’une caddie plein à craquer. Le client qui me précède dans la file que je choisis me précise que la caisse est « chèques et CB uniquement ». Je le remercie. C’est le charme des petites villes : les gens se parlent encore.
Juste avant que ce soit son tour, il me dit « passe devant moi, tu n’as presque rien ». J’aime bien l’idée qu’il me tutoie. Ça donne un côté : « on est dans la même galère, on peut coopérer ». Je lui passe donc devant, et dépose mes quelques articles à la suite de ceux d’une dame d’une trentaine d’années accompagnée d’un bambin. Je pose sur le tapis la petite barre « client suivant » qui va délimiter où ses achats s’arrêtent et où démarrent les miens.
Je m’aperçois qu’il n’y a qu’une barre «client suivant » , dommage !
Mon nouvel ami pose ses articles derrière les miens, en laissant un espace raisonnable.
Quand le caissier prend le dernier article de la femme, j’ôte la petite barre et la repose derrière mes achats. Je croyais que le caissier m’avait vu faire… mais il commence à faire passer mes achats avec ceux de la dame. Celle-ci lui signale son erreur. Je m’excuse, il me sourit et me dit, « ça arrive ».
Il repasse les codes-barres pour corriger la somme de la femme.
Il décroche son téléphone de service, et appelle la chef-caissière qui doit valider sa correction d’un tour de clé.
Elle met un peu de temps à venir, « elle n’a pas que ça à faire ».
Elle se trompe de caisse, il y a un autre jeune qui porte le même prénom.
Elle finit par arriver, et fait ce qu’elle a à faire.
Je m’en veux d’avoir fait perdre du temps à tous ces gens, et particulièrement à l’homme qui m’a laissé passer.
C’est la femme qui, la première, fera remarquer au caissier qu’il est dommage qu’il n’y ait pas plus de ces petites barres bien utiles. J’essaye piteusement d’expliquer que j’ai essayé de prendre sur moi de faire ce qu’il fallait. C’est vrai : j’avais anticipé le problème et essayé de faire au mieux avec l’unique barre. En allant trop vite, comme à mon habitude. C’est de ma faute !
Sauf que ce n’est pas « vraiment » de ma faute. Le jeune caissier m’a l’air de quelqu’un qui aime mettre les gens à l’aise. Et il nous explique que ses collègues et lui-même demandent régulièrement des barres supplémentaires pour éviter ce problème ; que la plupart des caisses, comme la sienne, n’en ont qu’une. Il est donc conscient qu’il y a là un problème, et sa direction « devrait » l’être aussi, puisqu’il leur en parle.
Alors, je me pose une question toute bête : qu’attendent-ils pour régler le problème, minime certes, mais ô combien énervant, que j’évoque ? La solution en est évidente, simple et peu coûteuse.
Cette expérience est celle que vivent bon nombre de collaborateurs : ils remontent des problèmes qui compliquent leur quotidien et occasionnent des pertes de temps. Ces problèmes pourtant manifestes et simples à régler ne sont pas pris en compte, ce qui occasionne une totale incompréhension. Les collaborateurs finissent par se décourager de remonter les problèmes.
Pendant ce temps les managers sont parfois découragés face à des équipes qui manquent d’implication, de responsabilisation, d’autonomie. Mais comment peut-on imaginer des équipes impliquées, responsables et autonomes si de simples problèmes faciles à résoudre ne sont pas pris en compte ?
J’imagine que c’est une situation du même ordre qui s’est passée à la poste de Limoges :
Une directrice du centre de tri, qui avait demandé au personnel de garer les voitures en marche arrière et qui a constaté que sa demande n’avait pas été suivie d’effet par certains postiers a réagi en taguant les pare-brises des voitures récidivistes d’un panneau "attention danger" avec son rouge à lèvre. A la fin, les dernières voitures ont eu les pare-brises rayés car il n'y avait plus de rouge à lèvre dans le tube!
Je suppose qu’une personne qui donne des directives en plaçant des mots sur un pare-brise, n’est pas non plus une personne qui est à l’écoute des irritants du quotidien de ses équipes. Alors comment imaginer que ses postiers allaient remettre en question une habitude vielle de dizaines d’années à partir d’une directive d’une personne déconnectée de leurs préoccupations ?
La base de l’amélioration des performances c’est l’écoute des personnes qui sont confrontées aux problèmes terrain. A partir du moment où les personnes se sentent écoutées, qu’un climat de confiance s’installe alors une coopération est imaginable pour améliorer la performance au quotidien.
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