La psychologie regorge de grands concepts qui nous permettent de mieux comprendre ce qui motive nos comportements et la manière dont nous vivons nos relations – donc entre autres les conflits interpersonnels qui parfois les empoisonnent. Les notions de transfert et de projection sont deux des plus anciens de ces concepts (ils sont issus de la psychanalyse freudienne) mais restent parmi les plus féconds pour comprendre qui nous sommes et pourquoi nous agissons comme nous le faisons.
À travers le transfert, nous « revivons » au présent des situations de notre passé (généralement de la petite enfance), reproduisant en toute inconscience des schémas relationnels vieux parfois de plusieurs décennies. Classiquement nous revivons avec notre conjoint(e), notre patron(ne), nos collègues, « quelque chose » de notre relation à l’un des membres de notre entourage, les parents étant généralement les principaux pourvoyeurs de transferts durables – mais un frère, une sœur, un cousin, parfois un professeur, peuvent parfaitement faire l’affaire ! Parfois, et particulièrement quand une relation est conflictuelle, prendre un moment pour essayer d’élucider s’il y a transfert peut mener à des « eurêka » saisissants : « voilà qui il/elle me rappelle ». Ainsi, un jour, deux collègues, par ailleurs bonnes amies, s’étaient rendues compte qu’elles entraient perpétuellement en rivalité en présence d’un homme de leur service, sans qu’il s’agisse – ce qui semblait l’explication la plus logique – de séduction. Elles avaient fini par se rendre compte qu’elles étaient toutes deux issues de fratries bâties sur le même schéma : un grand frère bien aimé, et une petite sœur avec qui elles étaient en rivalité pour l’attention de ce dernier. Chacune revoyait en l’autre la peste qui l’empêchait d’être vue par le grand frère ! Le fait de s’en rendre compte leur avait permis de faire d’une situation souffrante un « private joke », et de rétablir la complicité qui les reliait.
La projection est différente : ce que je « projette », c’est quelque chose de moi (un comportement, un sentiment, une attitude) que généralement je n’aime pas, au point de ne pas le reconnaître. Ne pas le reconnaître chez moi s’entend, parce qu’au contraire, et c’est toute l’idée, je saurai très bien le reconnaître, et le déplorer abondamment, chez l’autre ! Un jour, dans une entreprise, un chef d’équipe s’était ainsi retrouvé en arrêt maladie au pire moment possible, laissant son collègue gérer une grosse commande et de nombreux problèmes techniques. À son retour il avait bien senti l’agressivité dudit collègue… agressivité pourtant parfaitement imaginaire : le collègue était au contraire ravi qu’il ait enfin accepté de se faire arrêter, car il craignait qu’un jour il tombe en burn-out ; il avait par ailleurs parfaitement géré son absence, et avait apprécié le challenge qu’il avait dû relever pour que le service continue à tourner normalement. En revanche, il avait bien fallu que ce chef d’équipe si consciencieux trouve quoi faire de la culpabilité qu’il avait ressentie à prendre un arrêt de travail : il l’avait projetée ! « Je me sens coupable de m’être arrêté » était devenu « il m’en veut de m’être arrêté ».
Bien sûr, nous avons tous des profils de personnalité différents, nous ne pouvons pas tous nous entendre à la perfection. Si je suis très énergique et que je réfléchis à la vitesse de l’éclair, je peux être irrité par le collègue nonchalant avec qui je partage mon bureau, sans qu’il soit besoin d’évoquer le souvenir d’un parent ou chercher le tréfonds de mon âme à la recherche d’une ombre honteuse. Mais se poser la question ne coûte pas grand-chose, et peut permettre de mettre un peu de conscience sur nos fonctionnements, et potentiellement d’adoucir nombre de relations.
Marc Brami, psychologue et psychothérapeute.
Référent en qualité de vie au travail, et prévention des risques psychosociaux.
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